Une nouvelle structure du marché de carburant en Haïti pour une meilleure redistribution de richesses

Publié le par Per fas et nefas

Rareté de carburant en Haïti, la population est aux abois.

La question de carburant est devenue une affaire sensible au plus haut point en Haïti. En seulement deux ans, l’essence a pris une place de choix dans les débats et dans certains cas, elle est même la cause de bien de malheurs. Nous nous souvenons des stations d’essence incendiées à la suite de la colère populaire, ou encore des scènes de protestations musclées des 6, 7 et 8 juillet 2018 après que le Gouvernement d’alors ait décidé d’augmenter les prix à la pompe. Aujourd’hui, la crise de l’essence a pris une autre dimension, celle d’une rareté de carburant créant une panique généralisée dans les rues du pays. Ce produit que nous ne produisons pas, mais qui est extrêmement important dans toutes les sociétés du monde, est depuis quelque temps une fourmi dans le caleçon du Gouvernement haïtien. Ça pique et dérange, mais impossible de l’enlever. Le plus grave problème lié à l’essence serait que sa subvention dans l’ordre actuel des choses hypothèque la capacité de l’Etat à payer les fournisseurs de l’essence sur le marché local. Le pire est que selon toute apparence, les haïtiens sont mobilisés à protester contre toute augmentation des prix à la pompe. Le Gouvernement serait donc pris au piège.

Nous voici donc face à un cas typique de manque de confiance face à un système qui depuis trop longtemps se contente de prendre comme bon lui semble sans pour autant offrir quelque chose en retour aux citoyens. Ces derniers en ont marre et tirent donc sur la corde. Des deux côté, le problème est double et les conséquences des pratiques des deux camps sont fâcheuses pour le pays. Est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés à périr par cette crise de carburant ? Ma réponse est claire et nette ; Non, loin de là, et comme dirait un ami, nous pouvons réussir.

Exposons d’abord le dilemme actuel. L’Etat haïtien voudrait arrêter de subventionner les prix à la pompe afin de dégager un surplus de recettes fiscales. Cependant, l’abandon de cette subvention est susceptible de pénaliser les citoyens sur le court terme. Dans un pays où le Gouvernement a un minimum de légitimité, la décision d’augmenter les prix à la pompe serait prise et respectée, avec probablement quelques explications du Gouvernement et une promesse de transparence sur les fonds supplémentaires découlant de cette mesure. Les événements de juillet 2018 nous suggèrent que la méfiance et la grogne des citoyens vis-à-vis de l’Etat haïtien sont à considérer. Cette situation nous pousse à réfléchir sur un mécanisme qui trouvera un certain équilibre où il y aurait moins de parties lésées.

La Proposition

Une solution moins paresseuse que celle envisagée en juillet 2018, à savoir la hausse significative et uniforme des prix à la pompe est de fixer des prix discriminants en fonction de la structure du marché de carburant en Haïti.

Imaginez que les chauffeurs de camionnettes, communément appelées « taptaps », de bus, de motos, paient la gazoline à 205 gourdes au lieu de 224 gourdes, tandis que les autres paieront le gallon de la gazoline à 265 gourdes. Quant au diesel, il y aurait deux prix : 178 gourdes et 199 gourdes. La subvention des prix à la pompe pour les uns serait supportée par les autres. Vous avez surement plein de questions qui vous trottent par la tête. Laissez-moi répondre à la plus évidente d’entre elles : quel serait le mécanisme ?

L’enregistrement des bénéficiaires

L’Etat envisagerait un partenariat avec les garages du pays qui feraient un service d’entretien pour tous les véhicules susmentionnés. Les deux parties s’entendraient sur le contenu de ce service ainsi que le pourcentage des rentrées qui reviendraient à chacune d’entre elles. Ce serait un bon moyen de supporter des petits garages du pays, de les aider à rentrer dans les registres fiscaux (obtention de patentes etc.). Il y va de soi que ces garages seraient inspectés et accrédités par l’Etat, puis les autorités divulgueront la liste des garages accrédités pour ces services. En termes d’obligation, les garages fourniront ce service d’expertise à ces véhicules et motos du transport public, transmettront un dossier à l’Etat sur chaque véhicule/moto comportant des photographies du véhicule/moto et du dessous du capot ; le nom du propriétaire, son adresse, son numéro de téléphone, la plaque d’immatriculation, le numéro du moteur, la couleur du véhicule, le circuit opéré par le véhicule/moto en question ; la commune et la ville. De ces informations, une carte spéciale serait imprimée et devra servir pour payer le gallon de gazoline au prix de 205 gourdes et le gallon de diesel à 178 gourdes. L’Etat Haïtien donnerait trois mois à partir de la date de mise en application aux véhicules du transport public de se doter de carte leur donnant accès à l’essence à ces prix. Prenons à titre d’exemple quelques chiffres. Disons que ce service coûterait 12,500 gourdes pour les taptaps et bus assurant le transport public, 20,000 gourdes pour les camions et 7,500 gourdes pour les motos. Cette carte serait valable jusqu’à la fin de l’exercice fiscal. Si on considère que 80% de ce fonds couvre l’administration et va aux garages, l’Etat percevrait 2,500 gourdes par taptap et bus, 4,000 gourdes par camion et 1,500 gourdes par moto. Avec l’hypothèse que nous avons 100 milles taptaps et bus, 20 milles camions et 50 milles motos aujourd’hui dans le transport public, un calcul simple nous permet d’estimer une rentrée fiscale de 405 millions de gourdes en seulement 3 mois sans compter les recettes découlant de la vente de carburant.

A la pompe

En ce qui concerne les stations de carburant, elles auront pour obligation de demander les cartes aux chauffeurs des véhicules et des motos de transport public pour leur vendre l’essence aux prix subventionnés. Noter que le plein de carburant aux prix subventionnés se ferait directement dans les véhicules et motos et non dans un bidon. Si un chauffeur vient acheter de l’essence dans un bidon, même si ce dernier détient une « carte de carburant » il ne pourra pas bénéficier du prix subventionné mais se verra obligé de payer le prix non subventionné de 265 gourdes. Les stations de carburant devront également remettre une facture à tous les clients subventionnés et non subventionnés. Cette information devra être disponible en tout temps aux autorités pour des besoins d’audit et d’évaluation de la mesure. Cette facture doit comporter le montant de la transaction, la plaque d’immatriculation du véhicule/moto ; la date et l’heure de la transaction ; l’adresse de la station de carburant et le nom du pompiste qui a servi le client et le mode de paiement. Quant à l’Etat, sur la base de ces factures, il réduirait sa marge sur les gallons subventionnés vendus par les stations de carburant tout en conservant une marge significative sur les gallons non subventionnés vendus. Ce serait une manière assez équitable de faire une meilleure distribution des ressources.

Externalités et obstacles

En termes d’externalités, l’Etat se doterait d’une large base de données sur les véhicules et motos de transport public et permettrait le développement d’un secteur d’affaire, à savoir les garages. Dans le premier cas, ce serait une bonne chose pour la police dans le cadre de ses enquêtes sur les crimes perpétrés à moto. Dans le second cas, il y aurait même création d’emplois et la formalisation d’une branche d’activités. Cependant, il faut reconnaître que le plus gros obstacle à la mise en application d’un tel mécanisme est nos institutions. Je suppose que cela doit passer à travers une loi de finance. Quid de la loi de finance pour 2019 – 2020 ? Le projet n’a jamais été déposé que je sache. Imaginez que l’on arrive à inclure cela dans le budget qui sera déposé au Parlement : combien de temps prendrait le Parlement à parlementer avant d’aboutir à un consensus avec l’Exécutif sur la question ? Du côté public et privé, comment seront menés les dialogues visant à l’aboutissement du projet ? Cela demande un certain leadership, de la volonté et surtout d’une vision qui va au-delà des prix à la pompe. Il s’agit de préférence d’une politique publique visant à redistribuer la richesse du pays de façon plus équitable. Comment va-t-on vendre cela à une population déjà méfiante vis-à-vis des autorités du pays ? Personnellement, je serais enchanté de savoir que les gourdes de plus que je paie pour le gallon de carburant serviront (i) à financer un service d’entretien routier ; (ii) à financer des campagnes d’éducation des chauffeurs pour diminuer les accidents sur nos routes ; (iii) à mieux payer nos professeurs et nos policiers ; et (iv) à réduire le tarif des transports en commun. Je m’attendrais également à avoir un rapport sur le décaissement de mes gourdes et de celles de mes concitoyens sur ces points effectivement. Que le gouvernement présente les chiffres sur les rentrées provenant de la vente de carburant et les réalisations qu’elles ont permises. Donc, tout ce que nous demandons est que nos autorités nous épatent. Etonnez nous messieurs et dames, montrez-nous votre capacité à innover dans le bon sens du terme pour l’intérêt général.

"Per fas et Nefas"

 

Publié dans Société

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